le cri du papillon

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La petite étoile et la mer

Une jeune étoile à six branches flânait au fond de l'océan.  Constamment questionnée par la faune de son entourage qui n'avait jamais vu que des astéries à cinq bras, elle répondait toujours que si elle était dotée de six pattes, c'était parce qu'un destin aussi grand que mystérieux l'attendait.  Et chaque fois, de façon désinvolte, elle s'empressait d'ajouter que c'est ce que sa mère lui avait raconté, mais seulement en deux occasions : d'abord, dans sa tendre enfance, quand ses petites compagnes de jeu d'alors lui avait posé la question pour la première fois; ensuite, tout juste avant que sa maman n'en vienne au terme de sa brève vie marine.

Cette histoire de sort fabuleux ne la tourmentait pas et elle n'en faisait pas grand cas non plus, même si le souvenir des dernières paroles de sa mère remontait parfois sa mémoire, dans une soudaine mais douce nostalgie de bulles mourantes.

* * *

La mer a cette profondeur et cette masse, cette dimension, comme si elle pouvait tout contenir, tout comprendre, tout embrasser à la grandeur de la planète, du cataclysme au drame personnel de la plus humble des créatures.  Et en même temps cette proximité, cette sensibilité, cette mouvance qui fait d'elle-même un être vivant, prisonnier de sa propre immensité, omniprésent et fuyant.

* * *

- « Petite étoile ? »
La petite étoile avait beau regarder, elle ne voyait que les rayons du soleil balayer le sable et les rochers au fond de l'océan.
- « Qui me parle ? » hasarda-t-elle
- « Moi. » reprit la voix profonde.  « Tu ne peux pas me voir mais je vibre en toi, comme dans tous les autres êtres vivants.  Je suis la mer.  La vibration est peut-être plus forte en toi parce qu'une parcelle de ce que fut ta mère en ces lieux est encore très présent, ce qui nous lie l'une à l'autre comme cela vous liait l'une à l'autre... »
- « Maman ? » cria presque la petite étoile, pleine d'espoir.
- « Non... » répondit la mer d'une voix étrange, à la fois autoritaire et apaisante.  « Tu ne peux pas lui parler, du moins pas ici et en ce temps.  Mais nous pouvons nous parler, toi et moi, et c'est déjà beaucoup. »
- « Mais je ne suis qu'une modeste petite étoile de... »
- « N'es-tu pas vouée à un avenir merveilleux ? »
- « C'est ce que m'a dit ma maman. »
- « Et tu ne la crois pas ? » 
- « Je croyais qu'elle disait cela pour m'encourager quand j'étais toute petite ou pour me consoler juste avant qu'elle ne meure.  Des contes, les parents en répètent souvent aux enfants, pour les distraire, pour les endormir, ou simplement pour le plaisir du merveilleux.»
- « Et toutes ces raisons ne les empêchent pas d'être vrais.  En fait, toutes ces raisons de les raconter les obligent à être réels, aussi concrets que les algues que tu vois juste ici. »
- « Et c'est ma mère qui me le disait... »
- « Et maintenant c'est ta mer qui te le dis.  Viens, je t'amène dans un endroit formidable ! »

Et un tourbillon de bulles emporta la petite étoile.

* * *

Le tournoiement se dissipa pour lui offrir un spectacle stupéfiant.  Des centaines, des milliers d'étoiles de mer avec six, sept, parfois mêmes huit branches s'étalaient paisiblement le long d'une vaste côte rocheuse.
- « Mais elles ont toutes autant sinon plus de bras que moi ! » s'écria la petite étoile.
- « Et ça n'enlève rien à leur côté merveilleux et à tout ce qu'elles peuvent accomplir pendant leur modestes vies d'astéries. »
- « Mais à moi, si !  Je ne suis qu'une petite étoile bien ordinaire finalement.  Et ce conte était bien un conte et rien qu'un conte pour rassurer les petits enfants. »
- « Ce conte, c'est simplement celui de la vie.  Mais peut-être n'as-tu pas assez vécu ? »

Et, de nouveau, un tourbillon de bulles emporta la petite étoile.

* * *

Le tourbillonnement s'effaça pour laisser place à la vue familière qu'avait la petite étoile de son petit récif natal, théâtre de sa petite vie bien banale.  Elle était un peu en colère.
- « Merci de m'avoir ramené chez moi.  Mais je me demande pourquoi m'avoir amener là-bas en premier lieu ?  J'ai perdu.  J'ai perdu mes illusions, et j'ai perdu confiance en ce que disait ma mère, et je crois bien avoir perdu confiance en vous ! »
-  « Il faut faire confiance à la vie.  Mais il faut surtout te faire confiance à toi-même.  Je croyais que tu étais prête mais je me suis trompée.  Et de m'être trompée, c'est en soi merveilleux parce que je suis si vieille, si vieille, mais de modestes petites étoiles de mer m'en apprennent encore sur la vie et sur les créatures qui la composent.  Tu vivras longtemps.  Et avant la fin de ce long et dur labeur, peut-être nos courants se croiseront-ils de nouveau ? »

Et la voix profonde se tût.  Longtemps.
 

* * *

Et longtemps la petite étoile affronta la vie et ses tempêtes qui apportaient parfois des festins pour les astéries comme elles apportaient parfois la mort dans le fracas de l'eau contre la pierre; la vie et ses calmes plats qui plongeaient parfois les astéries dans les affres de la disette comme ils les plongeaient parfois dans une flânerie apaisante.

Et la petite étoile de mer devint une grande étoile de mer, eût elle-même des enfants et, à cause de plusieurs tempêtes particulièrement violentes ou de prédateurs voraces, dût se régénérer à quelques reprises.

Mais, même doté de ce pouvoir de régénération, un jour les forces vitales s'épuisent.

* * *

- « Petite étoile ? »
La grande étoile avait beau regarder de sa vue fatiguée, elle ne voyait que les rayons du soleil balayer le sable et les rochers au fond de l'océan.  Elle faillit se rendormir aussitôt mais elle reconnu cette voix profonde qui lui avait parlé il y avait si longtemps.
- « Bonjour mer ! » répondit-elle en se forçant à sortir de cette torpeur dans laquelle elle se plongeait de plus en plus souvent.
- « Je suis contente d'apprendre que tu ne m'as pas oubliée.  Le temps est arrivé.  Peut-être as-tu vécu assez longtemps pour comprendre maintenant ce côté merveilleux en toi ? »
- « J'ai vécu assez longtemps pour surtout apprécier le repos dans cet endroit calme.  Et j'ai vécu assez longtemps pour comprendre que même si tout s'arrête ici maintenant, j'aurai eu droit à un destin merveilleux. »
- « Et maintenant c'est toi qui le dis.  Viens, je t'amène dans un endroit formidable ! »

Et un tourbillon de bulles emporta l'âme de la grande étoile.

* * *

Cette histoire de sort fabuleux la piquait de curiosité et si elle en faisait maintenant grand cas, ce n'était plus à cause du souvenir des dernières paroles de sa mère mais bien parce qu'elle entendait sa mère les prononcer pour une troisième fois, dans une soudaine et puissante énergie de bulles montantes.

Et effectivement, elle montait, montait si haut, si haut qu'elle disparut au-delà de l'atmosphère pour réapparaître loin, tellement loin que ce fut à l'insu de presque tous que son destin merveilleux s'accomplit dans la splendeur.  En effet, qui peut se douter que deux des corps célestes composant la constellation des Poissons sont des étoiles... de mer ?


Patrick Packwood
- 27 avril 2010 -



02/05/2010
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